jeudi 13 avril 2017

Nouvelle : Entretien, brushing et bébé fantôme

J'ai participé il y a quelques semaines à un concours de nouvelles où je ne me suis pas distinguée mais qui m'a donné une idée pour un nouveau roman.




Voilà la nouvelle que j'ai écrite sur le thème "Le temps d'un voyage".


✨✨✨✨✨✨✨✨✨✨

Il faut absolument que j’attrape ce train. Cet entretien, c’est la chance de ma vie. Mais porter des talons si hauts pour aller à la gare, c’est la pire idée que j’ai eue. Je sors du métro en bousculant plusieurs personnes, bafouillant des excuses inaudibles et je cours aussi vite que je peux. Les couloirs de la gare me paraissent infinis et je sens que mes pieds ne vont pas supporter le choc.

En haut de l’escalator, je pique un sprint en direction du quai, soutenue par les cris d’encouragement d’une bande de jeunes qui traine dans la gare. Je farfouille dans mon sac à main à la recherche de mon portable et présente mon billet électronique au contrôleur.

— Et ben ma p’tite demoiselle, vous avez du bol. Vous êtes la dernière à pouvoir prendre ce train. Vous avez couru, vous êtes toute rouge ! Montez dans n’importe quel wagon, vous n’avez pas le temps de chercher là. Allez, vite, vite, vite !


Je marmonne un merci et je monte dans la première voiture de seconde classe. Mon coeur bat à cent à l’heure et quand j’aperçois mon reflet, j’étouffe un cri. On dirait que je suis passée sous une voiture. Avant de partir de la maison, j’ai pris le temps de soigner ma tenue, de me maquiller et de me faire un brushing. Tellement de temps que j’ai dû me dépêcher d’aller prendre le métro… qui a eu des ratés et est resté bloqué entre deux stations pendant quinze
minutes. J’avise une place libre côté couloir et je m’affale sur mon siège. J’ai une heure devant moi pour reprendre forme humaine et me préparer pour l’entretien. Ce poste sur Paris serait un nouveau départ pour moi. Ma carrière est au point mort depuis que j’ai quitté mon salaud d’ex qui était aussi mon chef. Cette relation était une très mauvaise idée. Tout le monde me l’a dit quand je m’y suis embarquée mais j’étais tellement amoureuse que je n’ai
écouté personne. Depuis, il m’a trompée, je l’ai surpris, je l’ai quitté et lui m’a enlevé tous les dossiers importants et intéressants. Depuis, je végète avec les pires clients de la boite et mes primes ont fondu comme neige au soleil. Autant vous dire que ce poste, je le veux !
Je sors un miroir de poche de mon sac pour mesurer l’étendue des dégâts. Ok, mon brushing n’est plus qu’un souvenir et je ressemble à la vieille aux chats des Simpsons. Je rassemble mes cheveux en une queue haute, ça fera l’affaire et cette coiffure a le mérite de faire ressortir mes yeux bleus. Mes rougeurs commencent à s’estomper un peu mais mon maquillage a coulé. Je me félicite d’avoir toujours de la poudre et du mascara dans mon sac. Je m’emploie à me redonner un coup de frais quand j’entends une voix venue du passé à côté de moi.


— Tiens, Claire, toi ici…


Cette voix douce et en même temps sèche et dure. Ces quatre mots qui en une seconde me glacent le sang. Je me tourne lentement vers elle et la reconnais. C’est bien Pauline, celle qui a été ma meilleure amie, ma moitié, mon inséparable et en même temps ma plus grande
ennemie. Il m’a fallu des années pour mettre en mots ce qu’était notre relation : une amitié toxique. Il m’a fallu du courage pour couper les ponts il y a dix ans et apprendre à vivre sans elle. Pour m’empêcher de l’appeler, de reprendre contact, comme une alcoolique qui est tentée chaque jour par un verre. Elle avait totalement disparu de ma vie même si, avec l’avènement des réseaux sociaux et nos amis communs, je vois passer des bribes de sa vie de temps en temps.
Je suis tellement étonnée de la voir devant moi que je reste bouche-bée. Je la regarde longuement. Elle n’a pas changé, toujours cette beauté froide, diaphane. Ses cheveux blonds sont toujours longs mais désormais plus sophistiqués grâce à un léger balayage et un brushing qui, contrairement au mien, est impeccable. Ses yeux noirs, qui lui confèrent une beauté si spéciale sont soulignés d’un trait d’eye-liner et sa bouche est d’un rouge profond. Les années
ont passé et n’ont pas laissé de trace sur elle. Comme il y a dix ans, elle est parfaite et je ne ressemble à rien. C’est sur ce constat que s’est bâtie notre amitié, c’est comme ça que je ressens nos retrouvailles.


Je jette un coup d’oeil dans la voiture à la recherche d’une place libre mais je n’en vois aucune.


— Tu cherches à t’échapper ? Pourtant, c’est sympa de se retrouver. Ça fait quoi, dix ans que l’on ne s’est pas vues ? On a une heure devant nous pour parler du bon vieux temps. Ça me fait plaisir de te voir. Tu n’as pas changé.
— Toi non plus, pas d’un iota. Je n’ai pas vraiment le temps de discuter, désolée mais j’ai un entretien à Paris. Je dois me préparer un peu. C’est très important.
— Oh, formidable ! Dis-moi, dans quoi est-ce que tu travailles ?
— Je suis commerciale dans l’informatique. J’ai déjà un très bon poste mais ce poste à Paris est encore mieux payé et vraiment intéressant alors…


Et voilà. Cinq minutes avec elle et je me sens obligée de me justifier sur ma vie. Elle semble ne pas savoir ce qu’est ma vie aujourd’hui alors je fais semblant de faire pareil. Même si je sais qu’elle a un super boulot dans la mode. Son rêve de toujours qu’elle a réalisé. Elle. A ce job de rêve s’ajoutent un mari, parfait sosie de David Beckham et deux petites jumelles de 4 ans qui ont récemment commencé une carrière de mannequins. Et évidemment, elle a toujours
ce foutu corps de rêve qu’elle avait il y a dix ans. Et moi pendant ce temps, je suis célibataire, je n’ai pas d’enfant et j’ai de la cellulite bien incrustée dans les fesses (ça n’est pas moi qui le
dit mais l’esthéticienne de 19 ans et 45 kilos qui m’a fait des séances de palper-rouler le mois dernier).


— Et toi, tu deviens quoi ?
— Oh, moi… Et bien je suis mariée depuis 6 ans avec le plus parfait des maris et j’ai deux petites filles : Cassandre et Eglantine. Je suis directrice de collection chez Lefrand, tu connais for-cé-ment, c’est une grande maison parisienne. J’adore tellement mon job ! Alors, et toi ? Tu es mariée ? Tu as des enfants ?


J’hésite une fraction de seconde et puis… Ma bouche s’ouvre et mon cerveau décide de se mettre en pilote automatique pour raconter n’importe quoi.


— Oui, je suis mariée depuis deux ans et je suis enceinte pour tout te dire.
Je souris et caresse mon ventre d’un air béat.


Presque imperceptiblement, elle semble hésiter avant de me répondre. Elle sait que je mens car elle a dû elle aussi essayer de voir ce que je deviens. Elle a sans doute vu mes statuts passer de « En couple » à « C’est compliqué » puis « Célibataire », mes photos sur lesquelles il n’y a aucun mari et encore moins d’annonce de grossesse. Et pourtant, elle ne dit rien, elle s’enthousiasme.


— Oh mais félicitations ! Je me doutais bien en te voyant que je devinais un petit bidon. C’était le bébé ou l’abus de tartiflette, hahaha. C’est prévu pour quand ?


Je t’en foutrais moi de l’abus de tartiflette. Je calcule rapidement pour ne pas dire plus de bêtises que je ne l’ai déjà fait.


— Pour juillet. Ça fait 4 mois. Ça commence à se voir un peu oui. Bon, par contre, excuse-moi. Mais je vais devoir réviser. On papote, on papote et la moitié du voyage est presque déjà passée.


Je lui fais un petit sourire contrit, je fouille dans mon sac à la recherche du dossier que je me suis préparée sur l’entreprise où j’ai un entretien. Je fais mine de m’y plonger avec intérêt mais je sens le regard de Pauline sur moi. Les lettres et les mots commencent à danser devant moi et tout ce à quoi je parviens à penser c’est comment je vais réussir à me sortir de mes mensonges. Je ne vois que deux solutions : soit j’efface purement et simplement mon existence des réseaux sociaux, soit je m’invente un mari secret.
Je suis perdue dans mes manoeuvres quand la voix du contrôleur annonce notre arrivée prochaine à Paris. Je ramasse mes affaires précipitamment et je me lève pour me diriger vers la sortie. D’habitude, ça m’agace de voir les gens faire ça mais là, j’ai juste envie de m’enfuir loin d’elle.


— Bon, et bien ça m’a fait plaisir de te voir, je file, je suis pressée. Prends soin de toi !
— Oui, toi aussi. Bonne chance pour ton entretien et on se recroisera peut-être à nouveau. De toute façon, j’aurai sans doute des nouvelles de toi par Benoit ou Séverine. Bonne journée !


Son ton léger laisse pourtant transparaitre une note ironique. Séverine et Benoit étaient nos amis depuis le collège. C’est grâce à eux que je sais ce qu’elle devient. C’est grâce à eux qu’elle sait que je mens. Je suis foutue.

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